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Pierre Louÿs, un écrivain ressuscité par un libraire parisien*

Depuis un siècle, de savants libraires nous ont habitués à des catalogues thématiques qui ont fait date et sont toujours consultés.
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Depuis un siècle, de savants libraires nous ont habitués à des catalogues thématiques qui ont fait date et sont toujours consultés. Édouard Rahir en 1910 avec ses Livres dans de riches reliures, en 1934 Maurice Escoffier avec Le Mouvement romantique 1788 - 1850, en 1970 pour commémorer le cinquième centenaire de l’apparition de l’imprimerie en France les Livres du XVe siècle de Georges Heilbrun, en 1996 le Chateaubriand de L. Coulet, B. Forgeot et A. Nicolas, puis la même année, l’énorme répertoire Auguste Poulet-Malassis de Gérard Oberlé ; et je ne parle pas des cinquante derniers catalogues de Pierre Berès, tous thématiques et substantiels, ni de ceux de nombreux confrères qui voudront bien me pardonner de ne pouvoir les citer ici.

Jusqu’à ce jour Pierre Louÿs a été à peu près tenu à l’écart dans l’histoire des lettres françaises. Le Dictionnaire des Lettres du XIXe siècle l’exclut, affectant de croire qu’il appartient au siècle suivant ; l’Encyclopediæ universalis donne de courtes analyses de ses oeuvres principales sans la moindre allusion à celles de l’érotisme ; le Grand Larousse universel du XXe siècle l’expédie en une vingtaine de lignes et il en va de même de tous les répertoires où apparaît son nom.
Il n’est donc pas exagéré de dire que, avec son catalogue qui s’inscrit dans la lignée de ceux de ses prédécesseurs, M. Vrain a courageusement élevé un monument à la gloire de Pierre Louÿs, et que celui-ci va peut-être exorciser l’écrivain frappé d’une injuste relégation.

Quelques énumérations donneront plus qu’une idée du contenu. D’abord en frontispice le portrait de Pierre Louÿs en dandy juvénile peint avec une sensibilité attendrissante par Jacques-Émile Blanche. Puis quelque deux cents manuscrits et correspondances, certains des manuscrits en plusieurs versions attestant par les surcharges un labeur acharné pour atteindre à une perfection de forme. De même que l’harmonieuse écriture calligraphique du ciseleur de phrases, omniprésente, dénonce les exigences de l’esthète. C’est presque toute l’oeuvre purement littéraire de Louÿs qui se présente ainsi dans son premier jet : Poésies de Méléagre, Chrysis, Aphrodite, Lêda, les Chansons de Bilitis, La Femme et le Pantin, la Poétique, Psyché, et le chef-d’oeuvre émouvant et méconnu (d’ailleurs posthume) de Pierre Louÿs Pervigilium mortis.

Il y a encore, on l’a deviné, des manuscrits érotiques et, naturellement, des lettres d’amour pleine d’allusions et d’effusions. Parmi d’innombrables lettres d’auteurs et d’artistes, celles de Gide, Oscar Wilde, J.M. de Heredia, J. de Tinan, Mallarmé, Debussy, Marie de Régnier, P. Valéry, Rodin, Marcel Proust. Dans la réunion de toutes les éditions originales se détachent une vingtaine de livres sur les plus rares papiers et avec des envois prestigieux ainsi qu’une soixantaine de reliures décorées signées de trente des relieurs les plus renommés du dernier siècle. On reconnaît souvent dans les exemplaires personnels le goût du bibliophile averti qu’a été aussi l’écrivain. Ajoutez à cela quelques recueils de photographies polissonnes et vous devrez convenir que ce gros volume ne laisse pas un instant le lecteur indifférent.
Avec la part non négligeable d’inédits décrits dans le volume, l’oeuvre de Pierre Louÿs connaît désormais un élargissement appréciable. S’il n’y avait quelque incongruité à rapprocher la portée d’un ouvrage de son poids physique on oserait relever que celui-ci pèse plus de six livres ! Ce serait au moins une manière de donner bonne notion de sa densité, en ajoutant que la réalisation éditoriale montre également, par le soin apporté aux détails graphiques, par l’empagement et les innombrables illustrations en couleurs une conception novatrice du catalogage. On remarque encore que les descriptifs, où en général tout est dit sobrement et en usant surtout et largement de citations, ne sont pas toujours exempts de l’enthousiasme consubstantiel à M. Vrain. Sous un émiettement apparent le catalogue se présente comme un puzzle. Que l’on essaie en imagination d’en réunifier les composantes et soudain magiquement se projette la vie et l’oeuvre d’un écrivain.
Indépendamment des trois sources principales, que M. Vrain révèle volontiers, le rassemblement de ces 526 pièces d’exception - livres, objets et documents confondus - représente assurément des années de recherches assidues. Nul ne pourra désormais écrire sur Pierre Louÿs sans puiser dans ce gisement prolifique - sauf à passer à côté d’informations essentielles.

Christian Galantaris

* Jean-Claude Vrain, Pierre Louÿs. Préface de Jacques Duprilot. [Catalogue à prix marqués]. Paris, Librairie J.C. Vrain , 2009 ; gr. in-4 (300 x 230 mm) de 468 pp., cartonnage décoré. - Très nombreuses illustrations toutes en couleurs. - Prix : 50 €.


© La lettre du SLAM, n° 40 (mars 2010)