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Syndicat National de la Librairie Ancienne et Moderne

À la découverte d’une œuvre d’art inconnue : la reliure

Ainsi l'on a des reliures carolingiennes, romanes, gothiques, Renaissance, d'autres reflétant les caractéristiques de style des différents règnes et enfin des reliures symbolistes, art nouveau, art déco, cubistes, surréalistes, etc. À partir de la fin du XIXe siècle la créativité des relieurs a été reconnue et, au siècle suivant, ils ont osé s'affranchir des vieux codes de corporations. En pratiquant des techniques nouvelles et en utilisant des matériaux inusités, les relieurs d'art ont donné pour certains la pleine mesure de leur génie et ils se sont mis enfin à signer leurs oeuvres. Le mot de génie n'est pas trop fort lorsque l'on énonce les noms de Pierre Legrain, Rose Adler, Paul Bonet, Pierre-Lucien Martin, Monique Mathieu, Jean de Gonet, pour n'en citer que quelques-uns.
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Par Christian Galantaris


Une notion ancienne - à rectifier - voudrait que la reliure soit un artisanat et rien d’autre. Or depuis plus de mille ans des relieurs, ignorant qu’ils étaient aussi des artistes, ont produit en France de véritables oeuvres d’art quand ce n’étaient pas des chefs d’oeuvre.

Ainsi l’on a des reliures carolingiennes, romanes, gothiques, Renaissance, d’autres reflétant les caractéristiques de style des différents règnes et enfin des reliures symbolistes, art nouveau, art déco, cubistes, surréalistes, etc. À partir de la fin du XIXe siècle la créativité des relieurs a été reconnue et, au siècle suivant, ils ont osé s’affranchir des vieux codes de corporations. En pratiquant des techniques nouvelles et en utilisant des matériaux inusités, les relieurs d’art ont donné pour certains la pleine mesure de leur génie et ils se sont mis enfin à signer leurs oeuvres. Le mot de génie n’est pas trop fort lorsque l’on énonce les noms de Pierre Legrain, Rose Adler, Paul Bonet, Pierre-Lucien Martin, Monique Mathieu, Jean de Gonet, pour n’en citer que quelques-uns.

Le handicap de la reliure du passé, comme de celle du temps présent, est la confidentialité liée à la production. Autrefois le relieur n’était pas considéré. C’était un ouvrier anonyme et obscur que l’on ne cherchait pas à connaître, à qui l’on donnait seulement quelques directives du genre : reliure simple, reliure de qualité, reliure décorée, quelquefois avec indications de couleurs. À partir de ces ordres laconiques l’artisan, libre au moins de son inspiration, se complaisait, surtout dans le troisième cas, à élaborer un décor de son cru qu’il exécutait ensuite amoureusement. L’oeuvre qui en résultait se distinguait de nombreuses fois par le goût, l’originalité et l’habilité manuelle. Maints exemples sont parvenus jusqu’à nous. Quant au relieur d’aujourd’hui, si son statut d’artiste a été admis, au moins par la communauté des libraires et des bibliophiles, il souffre cependant cruellement du manque de publicité entourant ses oeuvres. Elles restent invisibles pour la plupart car, commandées par un amateur ou par le canal des libraires, elles ne font qu’un saut de l’atelier de l’exécutant au cabinet du bibliophile. Là, assignées à résidence pendant des lustres et même davantage, elles ne réapparaissent presque jamais.

Aussi le public ne les voit pas, ou les entrevoit seulement à l’occasion de très rares expositions, ou encore pendant la courte émergence précédant une vente publique. Étant essentiellement et depuis des temps immémoriaux l’une des spécialités les plus délicates de l’art national, la reliure d’art a besoin de sortir de la pénombre où elle demeure confinée. Ceux qui en ont les moyens ont le devoir d’intervenir pour propager cet aspect méconnu du goût français.

On voit ici pointer l’oreille !

Sans aller jusqu’à solliciter le soutien de fermiers généraux - s’il s’en trouvait encore leur concours serait bienvenu – cet appel s’adresse à tous les amis du livre, à tous les amateurs de créations inédites, uniques et religieusement confectionnées, à tous les fervents d’originalité et enfin à tous les amoureux du beau, pour les adjurer de venir rejoindre la société des Amis de la Reliure originale.

Fondée en 1945, l’ARO lutte courageusement pour promouvoir la reliure d’art au plus haut niveau. Elle distingue les talents émergents, organise des expositions, lance des concours, publie des catalogues et des monographies. Son comité ainsi que la plupart de ses membres ont à coeur d’encourager plusieurs dizaines de relieurs-créateurs de grand talent que compte encore notre pays en leur confiant des livres à habiller. Car pour survivre les relieurs ont besoin de concours extérieurs. Installés en appartement ou dans un atelier, ils ne sont accessibles que pour ceux qui les ont dépistés ou connaissent leur travail. Si les libraires servent généralement d’intermédiaires, ce n’est pas suffisant. Aussi l’ARO organise une fois par an, dans un lieu public parisien très accessible, une présentation de reliures récemment exécutées par les artistes qui ont alors l’aubaine d’un contact direct avec les amateurs.

L’esthète d’aujourd’hui qui aime les livres et souhaite jouer un rôle dans l’accroissement du patrimoine artistique se doit de susciter une oeuvre d’art ; il en tirera des joies insoupçonnées. Car il est gratifiant pour le commanditaire de voir par sa seule décision se muer en bel objet un livre nu, c’est-à-dire broché, impossible à distinguer de sa fratrie - l’édition -, qu’il a mis en nourrice quelques mois plus tôt chez un artiste. Lorsque celui-ci le lui restitue relié, métamorphosé, méconnaissable, il ressent un plaisir intense, indescriptible, se sentant pour partie complice d’une création artistique. Cette impression peut aller jusqu’à lui faire partager l’émerveillement d’un amateur du Moyen âge découvrant une reliure que l’on venait d’achever pour lui sur un manuscrit enluminé : «... et sous ce vêtement de lumière il brille d’un éclat encore plus glorieux ».

pour rejoindre les Amis de la Reliure originale prière de contacter Claude Blaizot : 01 43 59 36 58


The article was first published in Lettre du SLAM 42, September 2010, and is presented here, with our thanks, by permission of the Syndicat national de la Librairie Ancienne et Moderne.

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