Actualités
Synopsis de l'exposition: "Maudits livres luthériens" : aux origines de la Réforme en France - Bibliothèque Mazarine, Paris
Imprimeurs et libraires perçoivent le formidable potentiel éditorial de la polémique luthérienne, et oscillent entre raison commerciale, prudence, et engagement personnel. Pour endiguer la diffusion des textes désormais hérétiques, on invente des dispositifs de contrôle de plus en plus redoutables à défaut d’être efficaces, et les livres devenus maudits mènent à l’exil ou au bûcher leurs auteurs, imprimeurs et lecteurs.
L' exposition est organisée par la Bibliothèque Mazarine en partenariat avec la Société d'Histoire du Protestantisme français.
Préface par Yann Sordet Directeur de la Bibliothèque Mazarine :
À l’automne 1518, un an après la publication de ses 95 thèses, la pensée de Luther pénètre pour la première fois en France, sous la forme d’un recueil de textes publié à Bâle. Les œuvres du réformateur commencent ainsi par être importées dans le royaume ; elles circulent et y sont lues ; elles seront bientôt réimprimées et traduites, mais aussi contestées, condamnées et parfois détruites.
Elles rencontrent en France les aspirations d’une société traversée d’inquiétudes depuis la fin du Moyen Âge, gagnée par de nouvelles sensibilités religieuses, tentée par la contestation des autorités, et séduite par de nouveaux modes de lecture et d’enseignement. Entre 1518 et la fin du règne de François Ier, s’ouvre une période intense d’explorations et de questionnements. Certains événements contribuent à médiatiser la figure de Luther et à crisper les positions : sa condamnation par la Sorbonne et le Parlement de Paris (1521), l’affaire des placards (1534), l’apparition de Calvin, la création de l’Index des livres interdits (1544). Les dissensions se font fractures, et les voies moyennes, tentées par un Lefèvre d’Etaples ou une Marguerite de Navarre, deviennent impossibles à tenir. Le mot « luthérien » se charge négativement, et son imprécision autorise tous les amalgames.
Un demi-siècle après l’invention de l’imprimerie, avant que la Renaissance ne laisse place aux Guerres de Religion, le livre est à la fois l’acteur principal et un témoin privilégié de ces bouleversements. Imprimeurs et libraires perçoivent le formidable potentiel éditorial de la polémique luthérienne, et oscillent entre raison commerciale, prudence, et engagement personnel. Pour endiguer la diffusion des textes désormais hérétiques, on invente des dispositifs de contrôle de plus en plus redoutables à défaut d’être efficaces, et les livres devenus maudits mènent à l’exil ou au bûcher leurs auteurs, imprimeurs et lecteurs.
SYNOPSIS DE L'EXPOSITION
I. Nouvelles sensibilités, nouveaux textes
Alors que Luther s’apprête à placarder ses 95 thèses contre les indulgences à Wittenberg, quelques pièces permettent de reconstituer le contexte français, traversé d’inquiétudes quant au salut (la vogue des danses macabres ou de l’astrologie), marqué par de nouvelles sensibilités religieuses et de nouvelles aspirations spirituelles. Les méthodes de la philologie humaniste s’appliquent au Texte Sacré, qui se dépouille de sa glose lorsqu’un Erasme ou un Lefèvre d’Etaples proposent d’en appeler aux originaux grecs ou hébreux pour établir un texte plus fiable.
II. 1518-1521 : Luther à Paris
À l’automne 1518 les idées de Luther arrivent à Paris, par le biais d’un recueil de textes imprimé à Bâle en vue d’une diffusion internationale. Aux éditions importées s’ajoutent bientôt des éditions françaises, à l’occasion de la Dispute de Leipzig (été 1519) qui envahit les librairies, notamment à Paris où l’affaire est portée devant la Faculté de théologie (la Sorbonne). Cette dernière rend son jugement en avril 1521, qui condamne les textes Luthériens à la clandestinité.
III. Réactions : défenses et ruptures
À partir du jugement de la Sorbonne, les positions des deux camps vont se crisper. L’affaire Berquin (1523-1529) et ses multiples rebondissements est symptomatique du durcissement des poursuites entreprises par la faculté de théologie de Paris et le parlement à l’encontre des individus suspects de sympathies luthériennes. Les saisies de livres permettent aux censeurs de préciser leur position, et d’élargir l’interdiction initialement portée contre les écrits du réformateur à d’autres textes considérés comme d’inspiration luthérienne : les oeuvres de Melanchthon, celles écrites ou traduites par Berquin, certains textes d’Erasme. La polémique anti-luthérienne gonfle, alimentée par les traités de Jean Eck, Josse Clichtove ou John Fisher, qui construisent un vaste corpus de controverse pour lutter contre l’hérésie nouvelle.
IV. Luther en français avant Calvin
Si la diffusion de Luther n’est théoriquement plus possible à partir de 1521, ses idées continuent d’inspirer les mouvements réformateurs français, au premier rang desquels le groupe réuni à Meaux autour de l’évêque Briçonnet et de l’humaniste Lefèvre d’Etaples pour rénover la liturgie et la vie paroissiale. Après sa dispersion (1525), Lefèvre d’Étaples trouve la protection nécessaire auprès de Marguerite de Navarre, dont par ailleurs la poésie, comme celle de Marot, est parcourue de thèmes luthériens. À Paris, Alençon, Lyon, mais aussi, aux frontières du royaume, Bâle, Strasbourg ou Anvers, de petits livres évangéliques paraissent en français, qui intègrent plus ou moins discrètement des traductions ou interpolations de textes de Luther : ainsi le Pater noster et Credo en francoys de Guillaume Farel, ancien de Meaux, considéré comme le premier texte de la Réforme française (1525), qui, remanié et expurgé de ses accents luthériens, se diffusera sous le titre Le livre de vraie et parfaite oraison. Dans les années 1530-1535, l’épicentre de la Réforme en français se déplace en Suisse, où depuis Bâle, Neuchâtel, Genève, de courts textes d’édification ou de polémique sont produits à destination du marché francophone. La double affaire de la diffusion clandestine des placards contre la messe (oct. 1534) puis du Traité contre l’Eucharistie d’Antoine Marcourt (janv. 1535), entraîne une violente vague de répression.
V. Les années 1540, entre Luther et Calvin
Dans les années 1540, alors que la répression se fait plus brutale (engagement de la famille royale en faveur de l’orthodoxie catholique, exécution d’Etienne Dolet en 1546), les imprimeurs parisiens et lyonnais rivalisent de subterfuges pour continuer à imprimer des textes d’inspiration luthérienne.
La Suisse se spécialise dans l’édition réformée, et Calvin publie son Institutio religionis Christianae à Bâle (1536), jetant les bases du calvinisme sur les fondements luthériens. Avec la 2e édition, rapidement traduite en français à Genève (1541), apparaît la notion de prédestination, avec laquelle Calvin se distingue de Luther, tandis qu’émerge le souci de maintenir une unité de la Réforme.
VI. La légende noire de Luther
Si la mort de Luther voit naître une légende dorée du réformateur, la légende noire s’est élaborée bien plus tôt, dès les années 1520. Tandis que les traités latins de controverse doctrinale, dus à des théologiens issus de l’Université – Pierre Cousturier, Jérôme de Hangest, et surtout Johannes Cochlaeus – s’adressaient à un public savant, des pièces plus modestes, souvent en français et en vers, s’adressent à un public plus large : Le Trialogue nouveau de Jean Gacy, le Mirouer des pecheurs d’Olivier Conrard. Des pièces de circonstance accompagnent la victoire du duc Antoine de Lorraine contre les paysans révoltés en 1525. Les vices prêtés à Luther (orgueil, duplicité, luxure, liens avec le diable) apparaissent dans quelques représentations allégoriques fameuses, comme le Luther à sept têtes de Hans Brosamer, ou la figure de l’hérétique de Gabriel Salmon. Elles répondent comme en miroir à la propagande anticatholique que la Réforme développe depuis l’Allemagne, mobilisant texte et image à la faveur d’une véritable révolution médiatique.
Préface par Yann Sordet, directeur de la Bibliothèque Mazarine
Introduction : Maudits livres, maudits luthériens par Hubert Bost
De nouvelles sensibilités, de nouveaux textes, de nouvelles lectures par Frédéric Barbier
1518-1521 : Luther à Paris par Florine Lévecque-Stankiewicz
Premiers procès par Geneviève Guilleminot-Chrétien
Ruptures : les théologiens anti-Luther par Yves Krumenacker
Luther en français avant Calvin par Marianne Carbonnier-Burkard, Olivier Millet
Entre Luther et Calvin : les années 1540 par Marianne Carbonnier-Burkard, Olivier Millet
La légende noire de Luther par Yves Krumenacker
PUBLICATION:
« Maudits livres » : La réception de Luther et les origines de la Réforme en France.
Bibliothèque Mazarine, Éditions des Cendres, 2018 ISBN : 979-10-90853-12-6, 40 €